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GUSTAVE LE VAVASSEUR




Il y a bien des années que je n’ai vu Gustave Levavasseur, mais ma pensée se porte toujours avec jouissance vers l’époque où je le fréquentais assidûment. Je me souviens que, plus d’une fois, en pénétrant chez lui, le matin, je le surpris presque nu, se tenant dangereusement en équilibre sur un échafaudage de chaises. Il essayait de répéter les tours que nous avions vu accomplir la veille par des gens dont c’est la profession. Le poëte m’avoua qu’il se sentait jaloux de tous les exploits de force et d’adresse, et qu’il avait quelquefois connu le bonheur de se prouver à lui-même qu’il n’était pas incapable d’en faire autant. Mais, après cet aveu, croyez bien que je ne trouvai pas du tout que le poëte en fût ridicule ou diminué ; je l’aurais plutôt loué pour sa franchise et pour sa fidélité à sa propre nature ; d’ailleurs, je me souvins que beaucoup d’hommes, d’une nature aussi rare et élevée que la sienne, avaient éprouvé des jalousies semblables à