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morale en peinture, porte aussi un caractère molochiste visible. Tout, dans son œuvre, n’est que désolation, massacres, incendies ; tout porte témoignage contre l’éternelle et incorrigible barbarie de l’homme. Les villes incendiées et fumantes, les victimes égorgées, les femmes violées, les enfants eux-mêmes jetés sous les pieds des chevaux ou sous le poignard des mères délirantes ; tout cet œuvre, dis-je, ressemble à un hymne terrible composé en l’honneur de la fatalité et de l’irrémédiable douleur. Il a pu quelquefois, car il ne manquait certes pas de tendresse, consacrer son pinceau à l’expression de sentiments tendres et voluptueux ; mais là encore l’inguérissable amertume était répandue à forte dose, et l’insouciance et la joie (qui sont les compagnes ordinaires de la volupté naïve) en étaient absentes. Une seule fois, je crois, il a fait une tentative dans le drôle et le bouffon, et comme s’il avait deviné que cela était au delà et au-dessous de sa nature, il n’y est plus revenu.




VI


Je connais plusieurs personnes qui ont le droit de dire : « Odi profanum vulgus ; » mais laquelle peut ajouter victorieusement : « et arceo ? » La poignée de main trop fréquente avilit le caractère. Si jamais homme eut une tour d’ivoire bien défendue par les