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Et ailleurs, négligeant révolutions et guerres sociales, le poëte chante, avec un accent délicat et voluptueux :


Avant que tes beaux yeux soient clos
Par le sommeil jaloux, ma belle,
Descendons jusqu’au bord des flots,
Et détachons notre nacelle.
L’air tiède, la molle clarté
De ces étoiles qui se baignent,
Le bruit des rames qui se plaignent,
Tout respire la volupté.
       Ô mon amante !
       Ô mon désir !
       Sachons cueillir
       L’heure charmante !

De parfums comme de lueurs
La nacelle amoureuse est pleine ;
On dirait un bouquet de fleurs
Qui s’effeuille dans ton haleine ;
Tes yeux, par la lune pâlis,
Me semblent pleins de violettes ;
Tes lèvres sont des cassolettes !
Ton corps embaume comme un lis !

Vois-tu l’axe de l’univers,
L’étoile polaire immuable ?
Autour, les astres dans les airs
Tourbillonnent comme du sable.
Quel calme ! que les cieux sont grands,
Et quel harmonieux murmure !
Ma main dedans ta chevelure
A senti des frissons errants !

Lettres plus nombreuses encor
Que tout l’alphabet de la Chine,
Ô grand hiéroglyphes d’or,
Je vous déchiffre et vous devine.
La nuit, plus belle que le jour,