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souvent il l’a exprimée d’une manière éclatante.

En 1846 ou 47 (je crois plutôt que c’est en 46), Pierre Dupont, dans une de nos longues flâneries (heureuses flâneries d’un temps où nous n’écrivions pas encore, l’œil fixé sur une pendule, délices d’une jeunesse prodigue, ô mon cher Pierre, vous en souvenez-vous ?), me parla d’un petit poëme qu’il venait de composer et sur la valeur duquel son esprit était très-indécis. Il me chanta, de cette voix si charmante qu’il possédait alors, le magnifique Chant des Ouvriers. Il était vraiment très-incertain, ne sachant trop que penser de son œuvre ; il ne m’en voudra pas de publier ce détail, assez comique d’ailleurs. Le fait est que c’était pour lui une veine nouvelle ; je dis pour lui, parce qu’un esprit plus exercé que n’était le sien à suivre ses propres évolutions, aurait pu deviner, d’après l’Album les Paysans, qu’il serait bientôt entraîné à chanter les douleurs et les jouissances de tous les pauvres.

Si rhéteur qu’il faille être, si rhéteur que je sois et si fier que je sois de l’être, pourquoi rougirais-je d’avouer que je fus profondément ému ?

Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres,
Nous vivons parmi les hiboux
Et les larrons amis des ombres.
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines ;
Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes !


Je sais que les ouvrages de Pierre Dupont ne sont