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Cette nouvelle infatuation des Français pour la sottise classique menaçait de durer longtemps ; heureusement des symptômes vigoureux de résistance se faisaient voir de temps à autre. Déjà Théodore de Banville avait, mais vainement, produit les Cariatides ; toutes les beautés qui y sont contenues étaient de la nature de celles que le public devait momentanément repousser, puisqu’elles étaient l’écho mélodieux de la puissante voix qu’on voulait étouffer.

Pierre Dupont nous apporta alors son petit secours ; et ce secours si modeste fut d’un effet immense. J’en appelle à tous ceux de nos amis qui, dès ce temps, s’étaient voués à l’étude des lettres et se sentaient affligés par l’hérésie renouvelée ; et je crois qu’ils avoueront comme moi que Pierre Dupont fut une distraction excellente. Il fut une véritable digue qui servit à détourner le torrent, en attendant qu’il tarît et s’épuisât de lui-même.

Notre poëte jusque-là était resté indécis, non pas dans ses sympathies, mais dans sa manière d’écrire. Il avait publié quelques poëmes d’un goût sage, modéré, sentant les bonnes études, mais d’un style bâtard et qui n’avait pas de visées beaucoup plus hautes que celui de Casimir Delavigne. Tout d’un coup il fut frappé d’une illumination : il se souvint de ses émotions d’enfance, de la poésie latente de l’enfance, jadis si souvent provoquée par ce que nous pouvons appeler la poésie anonyme, la chanson, non pas celle du soi-disant homme de lettres courbé sur un bureau officiel