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VI

HÉGÉSIPPE MOREAU




La même raison qui fait une destinée malheureuse en fait une heureuse. Gérard de Nerval tirera du vagabondage, qui fut si longtemps sa grande jouissance, une mélancolie à qui le suicide apparaîtra finalement comme seul terme et seule guérison possibles. Edgar Poë, qui était un grand génie, se couchera dans le ruisseau, vaincu par l’ivresse. De longs hurlements, d’implacables malédictions, suivront ces deux morts. Chacun voudra se dispenser de la pitié et répétera le jugement précipité de l’égoïsme : pourquoi plaindre ceux qui méritent de souffrir ? D’ailleurs le siècle considère volontiers le malheureux comme un impertinent. Mais si ce malheureux unit l’esprit à la misère, s’il est, comme Gérard, doué d’une intelligence brillante, active, lumineuse, prompte à s’instruire, s’il est, comme Poë, un vaste génie, profond comme le ciel et comme l’enfer, oh ! alors, l’impertinence du malheur devient intolérable. Ne dirait-on pas que le génie est