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tions, qui sont vos préférées, seront, grâce à leur incorrection, les moins intelligibles et les moins traduisibles ; car il n’y a rien qui soit plus obscur que l’erreur et le désordre. Si dans ces époques, situées moins loin peut-être que ne l’imagine l’orgueil moderne, les poésies de Théophile Gautier sont retrouvées par quelque savant amoureux de beauté, je devine, je comprends, je vois sa joie. Voilà donc la vraie langue française ! la langue des grands esprits et des esprits raffinés ! Avec quel délice son œil se promènera dans tous ces poëmes si purs et si précieusement ornés ! Comme toutes les ressources de notre belle langue, incomplétement connues, seront devinées et appréciées ! Et que de gloire pour le traducteur intelligent qui voudra lutter contre ce grand poëte, immortalité embaumée dans des décombres plus soigneux que la mémoire de ses contemporains ! Vivant, il avait souffert de l’ingratitude des siens ; il a attendu longtemps ; mais enfin le voilà récompensé. Des commentateurs clairvoyants établissent le lien littéraire qui nous unit au xvie siècle. L’histoire des générations s’illumine. Victor Hugo est enseigné et paraphrasé dans les universités ; mais aucun lettré n’ignore que l’étude de ses resplendissantes poésies doit être complétée par l’étude des poésies de Gautier. Quelques-uns observent même que pendant que le majestueux poëte était entraîné par des enthousiasmes quelquefois peu propices à son art, le poëte précieux, plus fidèle, plus concentré, n’en est jamais sorti. D’autres s’aperçoivent qu’il a même ajouté des