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lences commises en 1848 sur quelques-uns de ses ouvrages n’étaient pas faites pour le convertir au sentimentalisme politique de nos temps. Il y avait même en lui quelque chose, comme style, manières et opinions, de Victor Jacquemont. Je sais que la comparaison est quelque peu injurieuse ; aussi je désire qu’elle ne soit entendue qu’avec une extrême modération. Il y a dans Jacquemont du bel esprit bourgeois révolté et une gouaillerie aussi encline à mystifier les ministres de Brahma que ceux de Jésus-Christ. Delacroix, averti par le goût toujours inhérent au génie, ne pouvait jamais tomber dans ces vilenies. Ma comparaison n’a donc trait qu’à l’esprit de prudence et à la sobriété dont ils sont tous deux marqués. De même, les signes héréditaires que le XVIIIe siècle avait laissés sur sa nature avaient l’air empruntés surtout à cette classe aussi éloignée des utopistes que des furibonds, à la classe des sceptiques polis, les vainqueurs et les survivants, qui, généralement, relevaient plus de Voltaire que de Jean-Jacques. Aussi, au premier coup d’œil, Eugène Delacroix apparaissait simplement comme un homme éclairé dans le sens honorable du mot, comme un parfait gentleman sans préjugés et sans passions. Ce n’était que par une fréquentation plus assidue qu’on pouvait pénétrer sous le vernis et deviner les parties abstruses de son âme. Un homme, à qui on pourrait plus légitimement le comparer pour la tenue extérieure et pour les manières serait M. Mérimée. C’était la même froideur apparente, légèrement affectée, le même