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d’Antony Deschamps et de Brizeux ait servi à incliner Auguste Barbier vers cette grimace dantesque.

À travers tout son œuvre nous retrouvons les mêmes défauts et les mêmes qualités. Tout a l’air soudain, spontané ; le trait vigoureux, à la manière latine, jaillit sans cesse à travers les défaillances et les maladresses. Je n’ai pas besoin, je présume, de faire observer que Pot-de-vin, Érostrate, Chants civils et religieux, sont des œuvres dont chacune a un but moral. Je saute par-dessus un petit volume d’Odelettes qui n’est qu’un affligeant effort vers la grâce antique, et j’arrive à Rimes héroïques. Ici, pour tout dire, apparaît et éclate toute la folie du siècle dans son inconsciente nudité. Sous prétexte de faire des sonnets en l’honneur des grands hommes, le poëte a chanté le paratonnerre et la machine à tisser. On devine jusqu’à quel prodigieux ridicule cette confusion d’idées et de fonctions pourrait nous entraîner. Un de mes amis a travaillé à un poëme anonyme sur l’invention d’un dentiste ; aussi bien les vers auraient pu être bons et l’auteur plein de conviction. Cependant qui oserait dire que, même en ce cas, c’eût été de la poésie ? J’avoue que, quand je vois de pareilles dilapidations de rhythmes et de rimes, j’éprouve une tristesse d’autant plus grande que le poëte est plus grand ; et je crois, à en juger par de nombreux symptômes, qu’on pourrait aujourd’hui, sans faire rire personne, affirmer la plus monstrueuse, la plus ridicule et la plus insoutenable des erreurs, à savoir que le but de la poésie est de répandre les lumières parmi le