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Tel autre, beau et déshonnête ; mais sa beauté ne lui vient pas de son immoralité, ou plutôt, pour parler nettement, ce qui est beau n’est pas plus honnête que déshonnête. Il arrive le plus souvent, je le sais, que la poésie vraiment belle emporte les âmes vers un monde céleste ; la beauté est une qualité si forte qu’elle ne peut qu’ennoblir les âmes ; mais cette beauté est une chose tout à fait inconditionnelle, et il y a beaucoup à parier que si vous voulez, vous poëte, vous imposer à l’avance un but moral, vous diminuerez considérablement votre puissance poétique.

Il en est de la condition de moralité imposée aux œuvres d’art comme de cette autre condition non moins ridicule que quelques-uns veulent leur faire subir, à savoir d’exprimer des pensées ou des idées tirées d’un monde étranger à l’art, des idées scientifiques, des idées politiques, etc… Tel est le point de départ des esprits faux, ou du moins des esprits qui, n’étant pas absolument poétiques, veulent raisonner poésie. L’idée, disent-ils, est la chose la plus importante (ils devraient dire : l’idée et la forme sont deux êtres en un) ; naturellement, fatalement, ils se disent bientôt : Puisque l’idée est la chose importante par excellence, la forme, moins importante, peut être négligée sans danger. Le résultat est l’anéantissement de la poésie.

Or, chez Auguste Barbier, naturellement poëte, et grand poëte, le souci perpétuel et exclusif d’exprimer des pensées honnêtes ou utiles a amené peu à peu un