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teur charmant, bon, consolant, faisant le bien, un grand écrivain ! Ayant eu, enfant, le bonheur ou le malheur de ne lire que de gros livres d’homme, je ne le connaissais pas. Un jour que j’avais le cerveau embarbouillé de ce problème à la mode : la morale dans l’art, la providence des écrivains me mit sous la main un volume de Berquin. Tout d’abord je vis que les enfants y parlaient comme de grandes personnes, comme des livres, et qu’ils moralisaient leurs parents. Voilà un art faux, me dis-je. Mais voilà qu’en poursuivant je m’aperçus que la sagesse y était incessamment abreuvée de sucreries, la méchanceté invariablement ridiculisée par le châtiment. Si vous êtes sage, vous aurez du nanan, telle est la base de cette morale. La vertu est la condition SINE QUA NON du succès. C’est à douter si Berquin était chrétien. Voilà, pour le coup, me dis-je, un art pernicieux. Car l’élève de Berquin, entrant dans le monde, fera bien vite la réciproque : le succès est la condition SINE QUA NON de la vertu. D’ailleurs, l’étiquette du crime heureux le trompera, et, les préceptes du maître aidant, il ira s’installer à l’auberge du vice, croyant loger à l’enseigne de la morale.

Eh bien ! Berquin, M. de Montyon, M. Émile Augier et tant d’autres personnes honorables, c’est tout un. Ils assassinent la vertu, comme M. Léon Faucher vient de blesser à mort la littérature avec son décret satanique en faveur des pièces honnêtes.

Les prix portent malheur. Prix académiques, prix de