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maçons. Je veux caractériser par ce mot cette classe d’esprits grossiers et matériels (le nombre en est infiniment grand), qui n’apprécient les objets que par le contour, ou, pis encore, par leurs trois dimensions : largeur, longueur et profondeur, exactement comme les sauvages et les paysans. J’ai souvent entendu des personnes de cette espèce établir une hiérarchie des qualités, absolument inintelligible pour moi ; affirmer, par exemple, que la faculté qui permet à celui-ci de créer un contour exact, ou à celui-là un contour d’une beauté surnaturelle, est supérieure à la faculté qui sait assembler des couleurs d’une manière enchanteresse. Selon ces gens-là, la couleur ne rêve pas, ne pense pas, ne parle pas. Il paraîtrait que, quand je contemple les œuvres d’un de ces hommes appelés spécialement coloristes, je me livre à un plaisir qui n’est pas d’une nature noble ; volontiers m’appelleraient-ils matérialiste, réservant pour eux-mêmes l’aristocratique épithète de spiritualistes.

« Ces esprits superficiels ne songent pas que les deux facultés ne peuvent jamais être tout à fait séparées, et qu’elles sont toutes deux le résultat d’un germe primitif soigneusement cultivé. La nature extérieure ne fournit à l’artiste qu’une occasion sans cesse renaissante de cultiver ce germe ; elle n’est qu’un amas incohérent de matériaux que l’artiste est invité à associer et à mettre en ordre, un incitamentum, un réveil pour les facultés sommeillantes. Pour parler exactement, il n’y a dans la nature ni ligne ni couleur. C’est l’homme