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grande volonté et de foi naïve, aussi magnifiques dans leurs plaisirs que terribles dans leurs guerres ?

Que dirons-nous du récit de Tannhäuser, de son voyage à Rome, où la beauté littéraire est si admirablement complétée et soutenue par la mélopée, que les deux éléments ne font plus qu’un inséparable tout ? On craignait la longueur de ce morceau, et cependant le récit contient, comme on l’a vu, une puissance dramatique invincible. La tristesse, l’accablement du pécheur pendant son rude voyage, son allégresse en voyant le suprême pontife qui délie les péchés, son désespoir quand celui-ci lui montre le caractère irréparable de son crime, et enfin le sentiment presque ineffable, tant il est terrible, de la joie dans la damnation ; tout est dit, exprimé, traduit, par la parole et la musique, d’une manière si positive, qu’il est presque impossible de concevoir une autre manière de le dire. On comprend bien alors qu’un pareil malheur ne puisse être réparé que par un miracle et on excuse l’infortuné chevalier de chercher encore le sentier mystérieux qui conduit à la grotte, pour retrouver au moins les grâces de l’enfer auprès de sa diabolique épouse.

Le drame de Lohengrin porte, comme celui de Tannhäuser, le caractère sacré, mystérieux, et pourtant universellement intelligible de la légende. Une jeune princesse, accusée d’un crime abominable, du meurtre de son frère, ne possède aucun moyen de prouver son innocence. Sa cause sera jugée par le jugement de Dieu. Aucun chevalier présent ne descend pour elle sur le