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uniquement couverte certains pédants impuissants. Mais, par son principe même, l’insurrection romantique était condamnée à une vie courte. La puérile utopie de l’école de l’art pour l’art, en excluant la morale, et souvent même la passion, était nécessairement stérile. Elle se mettait en flagrante contravention avec le génie de l’humanité. Au nom des principes supérieurs qui constituent la vie universelle, nous avons le droit de la déclarer coupable d’hétérodoxie. Sans doute, des littérateurs très-ingénieux, des antiquaires très-érudits, des versificateurs qui, il faut l’avouer, élevèrent la prosodie presque à la hauteur d’une création, furent mêlés à ce mouvement, et tirèrent, des moyens qu’ils avaient mis en commun, des effets très-surprenants. Quelques-uns d’entre eux consentirent même à profiter du milieu politique. Navarin attira leurs yeux vers l’Orient, et le philhellénisme engendra un livre éclatant comme un mouchoir ou un châle de l’Inde. Toutes les superstitions catholiques ou orientales furent chantées dans des rhythmes savants et singuliers. Mais combien nous devons, à ces accents purement matériels, faits pour éblouir la vue tremblante des enfants ou pour caresser leur oreille paresseuse, préférer la plainte de cette individualité maladive, qui, du fond d’un cercueil fictif, s’évertuait à intéresser une société troublée à ses mélancolies irrémédiables. Quelque égoïste qu’il soit, le poëte me cause moins de colère quand il dit : Moi, je pense… moi, je sens…, que le musicien ou le barbouilleur in-