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l’art et aux facultés poétiques) me fit penser à ce que disent les livres de piété sur la nécessité de respecter notre corps comme temple de Dieu. Nous nous entretînmes également de la grande fatuité du siècle et de la folie du progrès. J’ai retrouvé dans des livres qu’il a publiés depuis lors quelques-unes des formules qui servaient à résumer ses opinions ; par exemple, celle-ci : « Il est trois choses qu’un civilisé ne saura jamais créer : un vase, une arme, un harnais. » Il va sans dire qu’il s’agit ici de beauté et non d’utilité. — Je lui parlai vivement de la puissance étonnante qu’il avait montrée dans le bouffon et le grotesque ; mais à ce compliment il répliqua avec candeur qu’au fond il avait en horreur l’esprit et le rire, ce rire qui déforme la créature de Dieu ! « Il est permis d’avoir quelquefois de l’esprit, comme au sage de faire une ribote, pour prouver aux sots qu’il pourrait être leur égal ; mais cela n’est pas nécessaire. » — Ceux que cette opinion proférée par lui pourrait étonner n’ont pas remarqué que, comme son esprit est un miroir cosmopolite de beauté, où conséquemment le Moyen Âge et la Renaissance se sont très-légitimement et très-magnifiquement reflétés, il s’est de très-bonne heure appliquée à fréquenter les Grecs et la Beauté antique, au point de dérouter ceux de ses admirateurs qui ne possédaient pas la véritable clef de sa chambre spirituelle. On peut, pour cet objet, consulter Mademoiselle de Maupin, où la beauté grecque fut vigoureusement défendue en pleine exubérance romantique.

Tout cela fut dit avec netteté et décision, mais sans