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dire que l’injustice lui est infiniment plus naturelle. Un écrivain politique ne disait-il pas l’autre jour que Théophile Gautier est une réputation surfaite !


II

Ma première entrevue avec cet écrivain, — que l’univers nous enviera, comme il nous envie Chateaubriand, Victor Hugo et Balzac, — est actuellement devant ma mémoire. Je m’étais présenté chez lui pour lui offrir un petit volume de vers de la part de deux amis absents. Je le trouvai, non pas aussi prestant qu’aujourd’hui, mais déjà majestueux, à l’aise et gracieux dans des vêtements flottants. Ce qui me frappa d’abord dans son accueil, ce fut l’absence totale de cette sécheresse, si pardonnable d’ailleurs, chez tous les hommes accoutumés par position à craindre les visiteurs. Pour caractériser cet abord, je me servirais volontiers du mot bonhomie, s’il n’était pas bien trivial ; il ne pourrait servir dans ce cas qu’assaisonné et relevé, selon la recette racinienne, d’un bel adjectif tel que asiatique ou oriental, pour rendre un genre d’humeur tout à la fois simple, digne et moelleuse. Quant à la conversation (chose solennelle qu’une première conversation avec un homme illustre qui vous dépasse encore plus par le talent que par l’âge !), elle s’est également bien moulée dans le fond de mon esprit. Quand il me vit