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quand tu seras grand ! Un de mes amis m’avoua qu’il n’avait jamais pu jouir de ses joujoux. — Et quand je suis devenu grand, ajoutait-il, j’avais autre chose à faire. — Du reste, il y a des enfants qui font d’eux-mêmes la même chose : ils n’usent pas de leurs joujoux, ils les économisent, ils les mettent en ordre, en font des bibliothèques et des musées, et les montrent de temps à autre à leurs petits amis en les priant de ne pas toucher. Je me défierais volontiers de ces enfants-hommes.

La plupart des marmots veulent surtout voir l’âme, les uns au bout de quelque temps d’exercice, les autres tout de suite. C’est la plus ou moins rapide invasion de ce désir qui fait la plus ou moins grande longévité du joujou. Je ne me sens pas le courage de blâmer cette manie enfantine : c’est une première tendance métaphysique. Quand ce désir s’est fiché dans la moelle cérébrale de l’enfant, il remplit ses doigts et ses ongles d’une agilité et d’une force singulières. L’enfant tourne, retourne son joujou, il le gratte, le secoue, le cogne contre les murs, le jette par terre. De temps en temps, il lui fait recommencer ses mouvements mécaniques, quelquefois en sens inverse. La vie merveilleuse s’arrête. L’enfant, comme le peuple qui assiége les Tuileries, fait un suprême effort ; enfin il l’entr’ouvre, il est le plus fort. Mais où est l’âme ? C’est ici que commencent l’hébétement et la tristesse.

Il y en a d’autres qui cassent tout de suite le joujou à peine mis dans leurs mains, à peine examiné ; et