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L’art philosophique n’est pas aussi étranger à la nature française qu’on le croirait. La France aime le mythe, la morale, le rébus ; ou, pour mieux dire, pays de raisonnement, elle aime l’effort de l’esprit.

C’est surtout l’école romantique qui a réagi contre ces tendances raisonnables et qui a fait prévaloir la gloire de l’art pur ; et de certaines tendances, particulièrement celles de M. Chenavard, réhabilitation de l’art hiéroglyphique, sont une réaction contre l’école de l’art pour l’art.

Y a-t-il des climats philosophiques comme il y a des climats amoureux ? Venise a pratiqué l’amour de l’art pour l’art ; Lyon est une ville philosophique. Il y a une philosophie lyonnaise, une école de poésie lyonnaise, une école de peinture lyonnaise, et enfin une école de peinture philosophique lyonnaise.

Ville singulière, bigote et marchande, catholique et protestante, pleine de brumes et de charbons, les idées s’y débrouillent difficilement. Tout ce qui vient de Lyon est minutieux, lentement élaboré et craintif ; l’abbé Noireau, Laprade, Soulary, Chenavard, Janmot. On dirait que les cerveaux y sont enchiffrenés. Même dans Soulary je trouve cet esprit de catégorie qui brille surtout dans les travaux de Chenavard et qui se manifeste aussi dans les chansons de Pierre Dupont.

Le cerveau de Chenavard ressemble à la ville de Lyon ; il est brumeux, flugineux, hérissé de pointes, comme la ville de clochers et de fourneaux. Dans ce cerveau les choses ne se mirent pas clairement, elles