Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

béciles, dont l’élégance est faite par son tailleur et la tête par son coiffeur. À côté de lui, les pieds soutenus par l’indispensable tabouret, est assise sa maîtresse, grande drôlesse à qui il ne manque presque rien (ce presque rien, c’est presque tout, c’est la distinction) pour ressembler à une grande dame. Comme son joli compagnon, elle a tout l’orifice de sa petite bouche occupé par un cigare disproportionné. Ces deux êtres ne pensent pas. Est-il bien sûr même qu’ils regardent ? à moins que, Narcisses de l’imbécillité ; ils ne contemplent la foule comme un fleuve qui leur rend leur image. En réalité, ils existent bien plutôt pour le plaisir de l’observateur que pour leur plaisir propre.

Voici, maintenant, ouvrant leurs galeries pleines de lumière et de mouvement, ces Valentinos, ces Casinos, ces Prados (autrefois des Tivolis, des Idalies, des Folies, des Paphos), ces capharnaüms où l’exubérance de la jeunesse fainéante se donne carrière. Des femmes qui ont exagéré la mode jusqu’à en altérer la grâce et en détruire l’intention, balayent fastueusement les parquets avec la queue de leurs robes et la pointe de leurs châles ; elles vont, elles viennent, passent et repassent, ouvrant un œil étonné comme celui des animaux, ayant l’air de ne rien voir, mais examinant tout.

Sur un fond d’une lumière infernale ou sur un fond d’aurore boréale, rouge, orangé, sulfureux, rose (le rose révélant une idée d’extase dans la frivolité), quelquefois violet (couleur affectionnée des chanoinesses, braise