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d’une femme un peu sanguine, un peu maigre et d’une peau très-fine, on verra qu’il y a harmonie parfaite entre le vert des fortes veines qui la sillonnent et les tons sanguinolents qui marquent les jointures ; les ongles roses tranchent sur la première phalange qui possède quelques tons gris et bruns. Quant à la paume, les lignes de vie, plus roses et plus vineuses, sont séparées les unes des autres par le système des veines vertes ou bleues qui les traversent. L’étude du même objet, faite avec une loupe, fournira dans n’importe quel espace, si petit qu’il soit, une harmonie parfaite de tons gris, bleus, bruns, verts, orangés et blancs réchauffés par un peu de jaune ; — harmonie qui, combinée avec les ombres, produit le modelé des coloristes, essentiellement différent du modelé des dessinateurs, dont les difficultés se réduisent à peu près à copier un plâtre.

La couleur est donc l’accord de deux tons. Le ton chaud et le ton froid, dans l’opposition desquels consiste toute la théorie, ne peuvent se définir d’une manière absolue : ils n’existent que relativement.

La loupe, c’est l’œil du coloriste.

Je ne veux pas en conclure qu’un coloriste doit procéder par l’étude minutieuse des tons confondus dans un espace très-limité. Car, en admettant que chaque molécule soit douée d’un ton particulier, il faudrait que la matière fût divisible à l’infini ; et d’ailleurs, l’art n’étant qu’une abstraction et un sacrifice du détail à l’ensemble, il est important de s’occuper surtout des