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toutes choses, diversement colorées suivant leur constitution moléculaire, changées de seconde en seconde par le déplacement de l’ombre et de la lumière, et agitées par le travail intérieur du calorique, se trouvent en perpétuelle vibration, laquelle fait trembler les lignes et complète la loi du mouvement éternel et universel. — Une immensité, bleue quelquefois et verte souvent, s’étend jusqu’aux confins du ciel : c’est la mer. Les arbres sont verts, les gazons verts, les mousses vertes ; le vert serpente dans les troncs, les tiges non mûres sont vertes ; le vert est le fond de la nature, parce que le vert se marie facilement à tous les autres tons[1]. Ce qui me frappe d’abord, c’est que partout, — coquelicots dans les gazons, pavots, perroquets, etc., — le rouge chante la gloire du vert ; le noir, — quand il y en a, — zéro solitaire et insignifiant, intercède le secours du bleu ou du rouge. Le bleu, c’est-à-dire le ciel, est coupé de légers flocons blancs ou de masses grises qui trempent heureusement sa morne crudité, — et, comme la vapeur de la saison, — hiver ou été, — baigne, adoucit, ou engloutit les contours, la nature ressemble à un toton qui, mû par une vitesse accélérée, nous apparaît gris, bien qu’il résume en lui toutes les couleurs.

La séve monte et, mélange de principes, elle s’épa-

  1. Excepté à ses génerateurs, le jaune et le blau ; cependant je ne parle ici que des tons purs. Car cette règle n’est pas applicable aux coloristes transcendants qui connaissent à fond la science du contre-point.