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et cela accuse une grande ignorance des destinées particulières.

Vous ignorez à quelle dose la nature a mêlé dans chaque esprit le goût de la ligne et le goût de la couleur, et par quels mystérieux procédés elle opère cette fusion, dont le résultat est un tableau.

Ainsi un point de vue plus large sera l’individualisme bien entendu : commander à l’artiste la naïveté et l’expression sincère de son tempérament, aidée par tous les moyens que lui fournit son métier[1]. Qui n’a pas de tempérament n’est pas digne de faire des tableaux, et, — comme nous sommes las des imitateurs, et surtout des éclectiques, — doit entrer comme ouvrier au service d’un peintre à tempérament. C’est ce que je démontrerai dans un des derniers chapitres.

Désormais muni d’un criterium certain, criterium tiré de la nature, le critique doit accomplir son devoir avec passion ; car pour être critique on n’en est pas moins homme, et la passion rapproche les tempéraments analogues et soulève la raison à des hauteurs nouvelles.

Stendhal a dit quelque part : « La peinture n’est que de morale construite ! » — Que vous entendiez ce mot de morale dans un sens plus ou moins libéral, on en peut dire autant de tous les arts. Comme ils sont

  1. À propos de l’individualisme bien entendu, voir dans le Salon de 1845 l’article sur William Haussoullier. Malgré tous les reproches qui m’ont été faits à ce sujet, je persiste dans mon sentiment ; mais il faut comprendre l’article.