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Le grand mérite de Goya consiste à créer le monstrueux vraisemblable. Ses monstres sont nés viables, harmoniques. Nul n’a osé plus que lui dans le sens de l’absurde possible. Toutes ces contorsions, ces faces bestiales, ces grimaces diaboliques sont pénétrées d’humanité. Même au point de vue particulier de l’histoire naturelle, il serait difficile de les condamner, tant il y a analogie et harmonie dans toutes les parties de leur être ; en un mot, la ligne de suture, le point de jonction entre le réel et le fantastique est impossible à saisir ; c’est une frontière vague que l’analyste le plus subtil ne saurait pas tracer, tant l’art est à la fois transcendant et naturel[1].


III

Le climat de l’Italie, pour méridional qu’il soit, n’est pas celui de l’Espagne, et la fermentation du comique n’y donne pas les mêmes résultats. Le pédantisme italien (je me sers de ce terme à défaut d’un terme absent) a trouvé son expression dans les caricatures de Léonard de Vinci et dans les scènes de mœurs de Pinelli. Tous les artistes connaissent les caricatures de Léonard de Vinci, véritables portraits. Hideuses et

  1. Nous possédions, il y a quelques années, plusieurs précieuses peintures de Goya, reléguées malheureusement dans des coins obscurs de la galerie ; elles ont disparu avec le Musée espagnol.