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deep sea ! s’écrie dans une béate contemplation, tranquillement assis sur le banc d’un canot, un gros Londonien, à un quart de lieue du port. Je crois même qu’on aperçoit encore quelques toitures dans le fond. L’extase de cet imbécile est extrême ; aussi il ne voit pas les deux grosses jambes de sa chère épouse, qui dépassent l’eau et se tiennent droites, les pointes en l’air. Il paraît que cette grasse personne s’est laissée choir, la tête la première, dans le liquide élément dont l’aspect enthousiasme cet épais cerveau. De cette malheureuse créature les jambes sont tout ce qu’on voit. Tout à l’heure ce puissant amant de la nature cherchera flegmatiquement sa femme et ne la trouvera plus.

Le mérite spécial de George Cruikshank (je fais abstraction de tous ses autres mérites, finesse d’expression, intelligence du fantastique, etc.) est une abondance inépuisable dans le grotesque. Cette verve est inconcevable, et elle serait réputée impossible, si les preuves n’étaient pas là, sous forme d’une œuvre immense, collection innombrable de vignettes, longue série d’albums comiques, enfin d’une telle quantité de personnages, de situations, de physionomies, de tableaux grotesques, que la mémoire de l’observateur s’y perd ; le grotesque coule incessamment et inévitablement de la pointe de Cruikshank, comme les rimes riches de la plume des poëtes naturels. Le grotesque est son habitude.

Si l’on pouvait analyser sûrement une chose aussi fugitive et impalpable que le sentiment en art, ce je