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pense pas et qui se contente de réfléchir les passants.

Quant à Grandville, c’est tout autre chose. Grandville est un esprit maladivement littéraire, toujours en quête de moyens bâtards pour faire entrer sa pensée dans le domaine des arts plastiques ; aussi l’avons-nous vu souvent user du vieux procédé qui consiste à attacher aux bouches de ses personnages des banderoles parlantes. Un philosophe ou un médecin aurait à faire une bien belle étude psychologique et physiologique sur Grandville. Il a passé sa vie à chercher des idées, les trouvant quelquefois. Mais comme il était artiste par métier et homme de lettres par la tête, il n’a jamais pu les biens exprimer. Il a touché naturellement à plusieurs grandes questions, et il a fini par tomber dans le vide, n’étant tout à fait ni philosophe ni artiste. Grandville a roulé pendant une grande partie de son existence sur l’idée générale de l’Analogie. C’est même par là qu’il a commencé : Métamorphoses du jour. Mais il ne savait pas en tirer des conséquences justes ; il cahotait comme une locomotive déraillée. Cet homme, avec un courage surhumain, a passé sa vie à refaire la création. Il la prenait dans ses mains, la tordait, la rarrangeait, l’expliquait, la commentait ; et la nature se transformait en apocalypse. Il a mis le monde sens dessus dessous. Au fait, n’a-t-il pas composé un livre d’images qui s’appelle Le Monde à l’envers ? Il y a des gens superficiels que Grandville divertit ; quant à moi, il m’effraye. Car c’est à l’artiste malheureusement que je m’intéresse et non à ses dessins. Quand j’entre dans l’œuvre de Grand-