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caricature est formidable d’ampleur, mais sans rancune et sans fiel. Il y a dans toute son œuvre un fonds d’honnêteté et de bonhomie. Il a, remarquez bien ce trait, souvent refusé de traiter certains motifs satiriques très-beaux, et très-violents, parce que cela, disait-il, dépassait les limites du comique et pouvait blesser la conscience du genre humain. Aussi quand il est navrant ou terrible, c’est presque sans l’avoir voulu. Il a dépeint ce qu’il a vu, et le résultat s’est produit. Comme il aime très-passionnément et très-naturellement la nature, il s’élèverait difficilement au comique absolu. Il évite même avec soin tout ce qui ne serait pas pour un public français l’objet d’une perception claire et immédiate.

Encore un mot. Ce qui complète le caractère remarquable de Daumier, et en fait un artiste spécial appartenant à l’illustre famille des maîtres, c’est que son dessin est naturellement coloré. Ses lithographies et ses dessins sur bois éveillent des idées de couleur. Son crayon contient autre chose que du noir bon à délimiter des contours. Il fait deviner la couleur comme la pensée ; or c’est le signe d’un art supérieur, et que tous les artistes intelligents ont clairement vu dans ses ouvrages.

Henri Monnier a fait beaucoup de bruit il y a quelques années ; il a eu un grand succès dans le monde bourgeois et dans le monde des ateliers, deux espèces de villages. Deux raisons à cela. La première est qu’il remplissait trois fonctions à la fois, comme Jules César :