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lyrique et païen de mes amis en était fort indigné. Il appelait cela une impiété et parlait de la belle Hélène comme d’autres parlent de la Vierge Marie. Mais ceux-là qui n’ont pas un grand respect pour l’Olympe et pour la tragédie furent naturellement portés à s’en réjouir.

Pour conclure, Daumier a poussé son art très-loin, il en a fait un art sérieux ; c’est un grand caricaturiste. Pour l’apprécier dignement, il faut l’analyser au point de vue de l’artiste et au point de vue moral. — Comme artiste, ce qui distingue Daumier, c’est la certitude. Il dessine comme les grands maîtres. Son dessin est abondant, facile, c’est une improvisation suivie ; et pourtant ce n’est jamais du chic. Il a une mémoire merveilleuse et quasi divine qui lui tient lieu de modèle. Toutes ses figures sont bien d’aplomb, toujours dans un mouvement vrai. Il a un talent d’observation tellement sûr qu’on ne trouve pas chez lui une seule tête qui jure avec le corps qui la supporte. Tel nez, tel front, tel œil, tel pied, telle main. C’est la logique du savant transportée dans un art léger, fugace, qui a contre lui la mobilité même de la vie.

Quand au moral, Daumier a quelques rapports avec Molière. Comme lui, il va droit au but. L’idée se dégage d’emblée. On regarde, on a compris. Les légendes qu’on écrit au bas de ses dessins ne servent pas à grand’chose, car ils pourraient généralement s’en passer. Son comique est, pour ainsi dire, involontaire. L’artiste ne cherche pas, on dirait plutôt que l’idée lui échappe. Sa