Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prodigieuse comédie satanique, tantôt bouffonne, tantôt sanglante, où défilent, affublées de costumes variés et grotesques, toutes les honorabilités politiques. Parmi tous ces grands hommes de la monarchie naissante, que de noms déjà oubliés ! Cette fantastique épopée est dominée, couronnée par la pyramidale et olympienne Poire de processive mémoire. On se rappelle que Philipon, qui avait à chaque instant maille à partir avec la justice royale, voulant une fois prouver au tribunal que rien n’était plus innocent que cette irritante et malencontreuse poire, dessina à l’audience même une série de croquis dont le premier représentait exactement la figure royale, et dont chacun, s’éloignant de plus en plus du terme primitif, se rapprochait davantage du terme fatal : la poire. "Voyez, disait-il, quel rapport trouvez-vous entre ce dernier croquis et le premier ?" On a fait des expériences analogues sur la tête de Jésus et sur celle de l’Apollon, et je crois qu’on est parvenu à ramener l’une des deux à la ressemblance d’un crapaud. Cela ne prouvait absolument rien. Le symbole avait été trouvé par une analogie complaisante. Le symbole dès lors suffisait. Avec cette espèce d’argot plastique, on était le maître de dire et de faire comprendre au peuple tout ce qu’on voulait. Ce fut donc autour de cette poire tyrannique et maudite que se rassembla la grande bande des hurleurs patriotes. Le fait est qu’on y mettait un acharnement et un ensemble merveilleux, et avec quelque opiniâtreté que ripostât la justice, c’est aujourd’hui un sujet d’énorme étonne-