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ments au génie. Il a cela de commun avec un autre homme célèbre, que je ne veux pas nommer parce que les temps ne sont pas encore mûrs[1], qu’il a tiré sa gloire exclusivement de la France et surtout de l’aristocratie du soldat. Je dis que cela est mauvais et dénote un petit esprit. Comme l’autre grand homme, il a beaucoup insulté les calotins : cela est mauvais, dis-je, mauvais symptôme, ces gens-là sont inintelligibles au delà du détroit, au delà du Rhin et des Pyrénées. Tout à l’heure nous parlerons de l’artiste, c’est-à-dire du talent, de l’exécution, du dessin, du style : nous viderons la question. A présent je ne parle que de l’esprit.

Charlet a toujours fait sa cour au peuple. Ce n’est pas un homme libre, c’est un esclave : ne cherchez pas en lui un artiste désintéressé. Un dessin de Charlet est rarement une vérité ; c’est presque toujours une câlinerie adressée à la caste préférée. Il n’y a de beau, de bon, de noble, d’aimable, de spirituel, que le soldat. Les quelques milliards d’animalcules qui broutent cette planète n’ont été créés par Dieu et doués d’organes et de sens que pour contempler le soldat et les dessins de Charlet dans toute leur gloire. Charlet affirme que le tourlourou et le grenadier sont la cause finale de la création. A coup sûr, ce ne sont pas là des caricatures, mais des dithyrambes et des panégyriques, tant cet homme prenait singulièrement son métier à

  1. Ce fragment est tiré d'un livre resté inachevé et commencé il y a plusieurs années. M. de Béranger vivait encore.