Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très-bien exprimer la jeunesse ; il arrive souvent que ses jeunes gens ont l’air grimé. Le dessin, généralement facile, est plus riche et plus bonhomme que celui de Carle Vernet. Presque tout le mérite de Pigal se résume donc dans une habitude d’observation sûre, une bonne mémoire et une certitude suffisante d’exécution ; peu ou pas d’imagination, mais du bon sens. Ce n’est ni l’emportement carnavalesque de la gaieté italienne, ni l’âpreté forcenée des Anglais. Pigal est un caricaturiste essentiellement raisonnable.

Je suis assez embarrassé pour exprimer d’une manière convenable mon opinion sur Charlet. C’est une grande réputation, un réputation essentiellement française, une des gloires de la France. Il a réjoui, amusé, attendri aussi, dit-on, toute une génération d’hommes vivant encore. J’ai connu des gens qui s’indignaient de bonne foi de ne pas voir Charlet à l’Institut. C’était pour eux un scandale aussi grand que l’absence de Molière à l’Académie. Je sais que c’est jouer un assez vilain rôle que de venir déclarer au gens qu’ils ont eu tort de s’amuser ou de s’attendrir d’une certaine façon ; il est bien douloureux d’avoir maille à partir avec le suffrage universel. Cependant il faut avoir le courage de dire que Charlet n’appartient pas à la classe des hommes éternels et des génies cosmopolites. Ce n’est pas un caricaturiste citoyen de l’univers ; et, si l’on me répond qu’un caricaturiste ne peut jamais être cela, je dirai qu’il peut l’être plus ou moins. C’est un artiste de circonstance et un patriote exclusif, deux empêche-