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droit, et avec son frac étriqué, ses bottes à revers et ses cheveux pleurant sur le front, chaque citoyen avait l’air d’une académie qui aurait passé chez le fripier. Ce n’est pas seulement pour avoir gardé profondément l’empreinte sculpturale et la prétention au style de cette époque, ce n’est pas seulement, dis-je, au point de vue historique que les caricatures de Carle Vernet ont une grande valeur, elles ont aussi un prix artistique certain. Les poses, les gestes ont un accent véridique ; les têtes et les physionomies sont d’un style que beaucoup d’entre nous peuvent vérifier en pensant aux gens qui fréquentaient le salon paternel aux années de notre enfance. Ses caricatures de modes sont superbes. Chacun se rappelle cette grande planche qui représente une maison de jeu. Autour d’une vaste table ovale sont réunis des joueurs de différents caractères et de différents âges. Il n’y manque pas les filles indispensables, avides et épiant les chances, courtisanes éternelles des joueurs en veine. Il y a là des joies et des désespoirs violents ; de jeunes joueurs fougueux et brûlant la chance ; des joueurs froids, sérieux et tenaces ; des vieillards qui ont perdu leurs rares cheveux au vent furieux des anciens équinoxes. Sans doute, cette composition, comme tout ce qui sort de Carle Vernet et de l’école, manque de liberté ; mais, en revanche, elle a beaucoup de sérieux, une dureté qui plaît, une sécheresse de manière qui convient assez bien au sujet, le jeu étant une passion à la fois violente et contenue.

Un de ceux qui, plus tard, marquèrent le plus, fut