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excellente décoration funèbre dans un cimetière ou dans une chapelle. La jeune fille, d’une forme riche et souple, est enlevée et balancée avec une légèreté harmonieuse ; et son corps, convulsé dans une extase ou dans une agonie, reçoit avec résignation le baiser de l’immense squelette. On croit généralement, peut-être parce que l’antiquité ne le connaissait pas ou le connaissait peu, que le squelette doit être exclu du domaine de la sculpture. C’est une grande erreur. Nous le voyons apparaître au moyen âge, se comportant et s’étalant avec toute la maladresse cynique et toute la superbe de l’idée sans art. Mais, depuis lors jusqu’au dix-huitième siècle, climat historique de l’amour et des roses, nous voyons le squelette fleurir avec bonheur dans tous les sujets où il lui est permis de s’introduire. Le sculpteur comprit bien vite tout ce qu’il y a de beauté mystérieuse et abstraite dans cette maigre carcasse, à qui la chair sert d’habit, et qui est comme le plan du poème humain. Et cette grâce, caressante, mordante, presque scientifique, se dresse à son tour, claire et purifiée des souillures de l’humus, parmi les grâces innombrables que l’Art avait déjà extraites de l’ignorante Nature. Le squelette de M. Hébert n’est pas, à proprement parler, un squelette. Je ne crois pas cependant que l’artiste ait voulu esquiver, comme on dit, la difficulté. Si ce puissant personnage porte ici le caractère vague des fantômes, des larves et des lamies, s’il est encore, en de certaines parties, revêtu d’une peau parcheminée qui se colle aux join-