prévalu. J’avouerai, avec tout le monde, que l’école moderne des paysagistes est singulièrement forte et habile ; mais dans ce triomphe et cette prédominance d’un genre inférieur, dans ce culte niais de la nature, non épurée, non expliquée par l’imagination, je vois un signe évident d’abaissement général. Nous saisirons sans doute quelques différences d’habileté pratique entre tel et tel paysagiste ; mais ces différences sont bien petites. Elèves de maîtres divers, ils peignent tous fort bien, et presque tous oublient qu’un site naturel n’a de valeur que le sentiment actuel que l’artiste y sait mettre. La plupart tombent dans le défaut que je signalais au commencement de cette étude : ils prennent le dictionnaire de l’art pour l’art lui-même ; ils copient un mot du dictionnaire, croyant copier un poème. Or un poème ne se copie jamais : il veut être composé. Ainsi ils ouvrent une fenêtre, et tout l’espace compris dans le carré de la fenêtre, arbres, ciel et maison, prend pour eux la valeur d’un poème tout fait. Quelques-uns vont plus loin encore. À leurs yeux, une étude est un tableau. M. Français nous montre un arbre, un arbre antique, énorme il est vrai, et il nous dit : voilà un paysage. La supériorité de pratique que montrent MM. Anastasi, Leroux, Breton, Belly, Chintreuil, etc., ne sert qu’à rendre plus désolante et visible la lacune universelle. Je sais que M. Daubigny veut et sait faire davantage. Ses paysages ont une grâce et une fraîcheur qui fascinent tout d’abord. Ils transmettent tout de suite à l’âme du
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