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trai rien, mais j’y ajouterai quelque chose qui est indispensable : le style. » Et nous savons ce qu’il entend par le style ; ce n’est pas la qualité naturellement poétique du sujet qu’il en faut extraire pour la rendre plus visible ; c’est une poésie étrangère, empruntée généralement au passé. J’aurais le droit de conclure que si M. Ingres ajoute quelque chose à son modèle, c’est par impuissance de le faire à la fois grand et vrai. De quel droit ajouter ? N’empruntez à la tradition que l’art de peindre et non pas les moyens de sophistiquer. Cette dame parisienne, ravissant échantillon des grâces évaporées d’un salon français, il la dotera malgré elle d’une certaine lourdeur, d’une bonhomie romaine. Raphaël l’exige. Ces bras sont d’un galbe très-pur et d’un contour bien séduisant, sans aucun doute ; mais, un peu graciles, il leur manque, pour arriver au style préconçu, une certaine dose d’embonpoint et de suc matronal. M. Ingres est victime d’une obsession qui le contraint sans cesse à déplacer à transposer et à altérer le beau. Ainsi font tous ses élèves, dont chacun, en se mettant à l’ouvrage, se prépare toujours, selon son goût dominant, à déformer son modèle. Trouvez-vous que ce défaut soit léger et ce reproche immérité ?

Parmi les artistes qui se contentent du pittoresque naturel de l’original se font surtout remarquer M. Bonvin, qui donne à ses portraits une vigoureuse et surprenante vitalité, et M. Heim, dont quelques esprits superficiels se sont autrefois moqués, et qui cette année encore, comme en 1855, nous a révélé, dans une pro-