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pénétrante. Mais je demande s’il y a loyauté à abréger les difficultés d’un art par la suppression de quelques-unes de ses parties. Je trouve que M. Chenavard est plus courageux et plus franc. Il a simplement répudié la couleur comme une pompe dangereuse, comme un élément passionnel et damnable, et s’est fié au simple crayon pour exprimer toute la valeur de l’idée. M. Chenavard est incapable de nier tout le bénéfice que la paresse tire du procédé qui consiste à exprimer la forme d’un objet sans la lumière diversement colorée qui s’attache à chacune de ses molécules ; seulement il prétend que ce sacrifice est glorieux et utile, et que la forme et l’idée y gagnent également. Mais les élèves de M. Ingres ont très-inutilement conservé un semblant de couleur. Ils croient ou feignent de croire qu’ils font de la peinture.

Voici un autre reproche, un éloge peut-être aux yeux de quelques-uns, qui les atteint plus vivement : leurs portraits ne sont pas vraiment ressemblants. Parce que je réclame sans cesse l’application de l’imagination, l’introduction de la poésie dans toutes les fonctions de l’art, personne ne supposera que je désire, dans le portrait surtout, une altération consciencieuse du modèle. Holbein connaît Erasme ; il l’a si bien connu et si bien étudié qu’il le crée de nouveau et qu’il l’évoque, visible, immortel, superlatif. M. Ingres trouve un modèle grand, pittoresque, séduisant. « Voilà sans doute, se dit-il, un curieux caractère ; beauté ou grandeur, j’exprimerai cela soigneusement ; je n’en omet-