la face. Voilà ce qu’elle me dit aujourd’hui, cette vilaine âme, qui n’est pas une hallucination : « En vérité, les poëtes sont de singuliers fous de prétendre que l’imagination soit nécessaire dans toutes les fonctions de l’art. Qu’est-il besoin d’imagination, par exemple, pour faire un portrait ? Pour peindre mon âme, mon âme si visible, si claire, si notoire ? Je pose, et en réalité c’est moi le modèle, qui consens à faire le gros de la besogne. Je suis le véritable fournisseur de l’artiste. Je suis, à moi tout seul, toute la matière. » Mais je lui réponds : « Caput mortuum, tais-toi ! Brute hyperboréenne des anciens jours, éternel Esquimau porte-lunettes, ou plutôt porte-écailles, que toutes les visions de Damas, tous les tonnerres et les éclairs ne sauraient éclairer ! plus la matière est, en apparence, positive et solide, et plus la besogne de l’imagination est subtile et laborieuse. Un portrait ! Quoi de plus simple et de plus compliqué, de plus évident et de plus profond ? Si La Bruyère eût été privé d’imagination, aurait-il pu composer ses Caractères, dont cependant la matière, si évidente, s’offrait si complaisamment à lui ? Et si restreint qu’on suppose un sujet historique quelconque, quel historien peut se flatter de le peindre et de l’illuminer sans imagination ? »
Le portrait, ce genre en apparence si modeste, nécessite une immense intelligence. Il faut sans doute que l’obéissance de l’artiste y soit grande, mais sa divination doit être égale. Quand je vois un bon portrait, je devine tous les efforts de l’artiste, qui a dû voir