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belle société ! Comme elles sont fraîches, ces eaux qui amènent par troupes ces convives distingués sous ce portique ruisselant de lierre et de roses ! Comme elles sont splendides, toutes ces femmes avec leurs compagnons, ces maîtres peintres qui se connaissent en beauté, s’engouffrant dans ce repaire de la joie pour célébrer leur patron ! Cette composition, si riche, si gaie, et en même temps si noble et si élégante d’attitudes, est un des meilleurs rêves de bonheur parmi ceux que la peinture a jusqu’à présent essayé d’exprimer.

Par ses dimensions, l’Eve de M. Clésinger fait une antithèse naturelle avec toutes les charmantes et mignonnes créatures dont nous venons de parler. Avant l’ouverture du Salon, j’avais entendu beaucoup jaser de cette Eve prodigieuse, et, quand j’ai pu la voir, j’étais si prévenu contre elle que j’ai trouvé tout d’abord qu’on en avait beaucoup trop ri. Réaction toute naturelle, mais qui était, de plus, favorisée par mon amour incorrigible du grand. Car il faut, mon cher, que je vous fasse un aveu qui vous fera peut-être sourire : dans la nature et dans l’art, je préfère, en supposant l’égalité de mérite, les choses grandes à toutes les autres, les grands animaux, les grands paysages, les grands navires, les grands hommes, les grandes femmes, les grandes églises, et, transformant, comme tant d’autres, mes goûts en principes, je crois que la dimension n’est pas une considération sans importance aux yeux de la Muse. D’ailleurs, pour revenir à l’Eve de M. Clésinger, cette figure possède d’autres