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une résistance méfiante chez beaucoup de gens qui s’en iront hochant la tête et se demandant s’il est bien certain que les choses se passassent absolument ainsi ? En supposant même qu’une pareille critique soit injuste (car on reconnaît généralement chez M. Gérome un esprit curieux du passé et avide d’instruction), elle est la punition méritée d’un artiste qui substitue l’amusement d’une page érudite aux jouissances de la pure peinture. La facture de M. Gérome, il faut bien le dire, n’a jamais été forte ni originale. Indécise, au contraire, et faiblement caractérisée, elle a toujours oscillé entre Ingres et Delaroche. J’ai d’ailleurs à faire un reproche plus vif au tableau en question. Même pour montrer l’endurcissement dans le crime et dans la débauche, même pour nous faire soupçonner les bassesses secrètes de la goinfrerie, il n’est pas nécessaire de faire alliance avec la caricature, et je crois que l’habitude du commandement, surtout quand il s’agit de commander au monde, donne, à défaut de vertus, une certaine noblesse d’attitude dont s’éloigne beaucoup trop ce soi-disant César, ce boucher, ce marchand de vins obèse, qui tout au plus pourrait, comme le suggère sa pose satisfaite et provocante, aspirer au rôle de directeur du journal des Ventrus et des satisfaits.

Le Roi Candaule est encore un piége et une distraction. Beaucoup de gens s’extasient devant le mobilier et la décoration du lit royal ; voilà donc une chambre à coucher asiatique ! quel triomphe ! Mais est-il bien vrai que la terrible reine, si jalouse d’elle-même, qui