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corpulence et un cou si court ! S’il est aveugle, c’est l’enflure de sa joue de cochon qui lui bouche la vue. Mais qu’il loge dans l’œil bleu de Bélinda, ah ! je me sens hérétique, je ne le croirai jamais ; car elle n’a jamais eu une étable dans l’œil !"

Cela est doux à lire, n’est-ce pas ? et cela nous venge un peu de ce gros poupard troué de fossettes qui représente l’idée populaire de l’Amour. Pour moi, si j’étais invité à représenter l’Amour, il me semble que je le peindrais sous la forme d’un cheval enragé qui dévore son maître, ou bien d’un démon aux yeux cernés par la débauche et l’insomnie, traînant, comme un spectre ou un galérien, des chaînes bruyantes à ses chevilles, et secouant d’une main une fiole de poison, de l’autre le poignard sanglant du crime.

L’école en question, dont le principal caractère (à mes yeux) est un perpétuel agacement, touche à la fois au proverbe, au rébus et au vieux-neuf. Comme rébus, elle est, jusqu’à présent, restée inférieure à L’Amour fait passer le Temps et le Temps fait passer l’Amour, qui ont le mérite d’un rébus sans pudeur, exact et irréprochable. Par sa manie d’habiller à l’antique la vie triviale moderne, elle commet sans cesse ce que j’appellerais volontiers une caricature à l’inverse. Je crois lui rendre un grand service en lui indiquant, si elle veut devenir plus agaçante encore, le