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et que par sa bêtise et son habileté il mérite le suffrage et l’argent du public. L’imitateur de l’imitateur trouve ses imitateurs, et chacun poursuit ainsi son rêve de grandeur, bouchant de mieux en mieux son âme, et surtout ne lisant rien, pas même le Parfait Cuisinier, qui pourtant aurait pu lui ouvrir une carrière moins lucrative, mais plus glorieuse. Quand il possède bien l’art des sauces, des patines, des glacis, des frottis, des jus, des ragoûts (je parle peinture), l’enfant gâté prend de fières attitudes, et se répète avec plus de conviction que jamais que tout le reste est inutile.

Il y avait un paysan allemand qui vint trouver un peintre et qui lui dit : « — Monsieur le peintre, je veux que vous fassiez mon portrait. Vous me représenterez assis à l’entrée principale de ma ferme, dans le grand fauteuil qui me vient de mon père. À côté de moi, vous peindrez ma femme avec sa quenouille ; derrière nous, allant et venant, mes filles qui préparent notre souper de famille. Par la grande avenue à gauche débouchent ceux de mes fils qui reviennent des champs, après avoir ramené les bœufs à l’étable ; d’autres, avec mes petits-fils, font rentrer les charrettes remplies de foin. Pendant que je contemple ce spectacle, n’oubliez pas, je vous prie, les bouffées de ma pipe qui sont nuancées par le soleil couchant. Je veux aussi qu’on entende les sons de l’Angelus qui sonne au clocher voisin. C’est là que nous nous sommes tous mariés, les pères et les fils. Il est important que vous peigniez l’air de satisfaction dont je jouis à cet instant de la