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jours aimable, aimable comme les livres, et gracieux jusque dans ses lourdeurs. Au moins avec celui-là (qu’il soit la cible des plaisanteries du rapin, que m’importe ?) je suis sûr de pouvoir causer de Virgile ou de Platon. Préault a un don charmant, c’est un goût instinctif qui le jette sur le beau comme l’animal chasseur sur sa proie naturelle. Daumier est doué d’un bon sens lumineux qui colore toute sa conversation. Ricard, malgré le papillotage et le bondissement de son discours, laisse voir à chaque instant qu’il sait beaucoup et qu’il a beaucoup comparé. Il est inutile, je pense, de parler de la conversation d’Eugène Delacroix, qui est un mélange admirable de solidité philosophique, de légèreté spirituelle et d’enthousiasme brûlant. Et après ceux-là, je ne me rappelle plus personne qui soit digne de converser avec un philosophe ou un poëte. En dehors, vous ne trouverez guère que l’enfant gâté. Je vous en supplie, je vous en conjure, dites-moi dans quel salon, dans quel cabaret, dans quelle réunion mondaine ou intime vous avez entendu un mot spirituel prononcé par l’enfant gâté, un mot profond, brillant, concentré, qui fasse penser ou rêver, un mot suggestif enfin ! Si un tel mot a été lancé, ce n’a peut-être pas été par un politique ou un philosophe, mais bien par quelque homme de profession bizarre, un chasseur, un marin, un empailleur ; par un artiste, un enfant gâté, jamais.

L’enfant gâté a hérité du privilège, légitime alors, de ses devanciers. L’enthousiasme qui a salué David, Gué-