Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une unité mystérieuse le drame et la rêverie.

Le public retrouvera tous ces tableaux d’orageuse mémoire qui furent des insurrections, des luttes et des triomphes : le Doge Marino Faliero (salon de 1827. — Il est curieux de remarquer que Justinien composant ses lois et le Christ au jardin des Oliviers sont de la même année), l’Evêque de Liège, cette admirable traduction de Walter Scott, pleine de foule, d’agitation et de lumière, les Massacres de Scio, le Prisonnier de Chillon, le Tasse en prison, la Noce juive, les Convulsionnaires de Tanger, etc., etc. Mais comment définir cet ordre de tableaux charmants, tels que Hamlet, dans la scène du crâne, et les Adieux de Roméo et Juliette, si profondément pénétrants et attachants, que l’œil qui a trempé son regard dans leurs petits mondes mélancoliques ne peut plus les fuir, que l’esprit ne peut plus les éviter ?

Et le tableau quitté nous tourmente et nous suit.

Ce n’est pas là le Hamlet tel que nous l’a fait voir Rouvière, tout récemment encore et avec tant d’éclat, âcre, malheureux et violent, poussant l’inquiétude jusqu’à la turbulence. C’est bien la bizarrerie romantique du grand tragédien ; mais Delacroix, plus fidèle peut-être, nous a montré un Hamlet tout délicat et pâlot, aux mains blanches et féminines, une nature exquise, mais molle, légèrement indécise, avec un œil presque atone.

Voici la fameuse tête de la Madeleine renversée, au sourire bizarre et mystérieux, et si surnaturellement