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mières productions, dès sa jeunesse (Dante et Virgile aux enfers est de 1822), M. Delacroix fut grand. Quelquefois il a été plus délicat, quelquefois plus singulier, quelquefois plus peintre, mais toujours il a été grand.

Devant une destinée si noblement, si heureusement remplie, une destinée bénie par la nature et menée à bonne fin par la plus admirable volonté, je sens flotter incessamment dans mon esprit les vers du grand poëte :


Il naît sous le soleil de nobles créatures
Unissant ici-bas tout ce qu’on peut rêver :
Corps de fer, cœurs de flamme, admirables natures !

Dieu semble les produire afin de se prouver ;
Il prend pour les pétrir une argile plus douce,
Et souvent passe un siècle à les parachever.

Il met, comme un sculpteur, l’empreinte de son pouce
Sur leurs fronts rayonnants de la gloire des cieux,
Et l’ardente auréole en gerbes d’or y pousse.

Ces hommes-là s’en vont calmes et radieux,
Sans quitter un instant leur pose solennelle,
Avec l’œil immobile, et le maintien des dieux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ne leur donnez qu’un jour, ou donnez-leur cent ans,
L’orage ou le repos, la palette ou le glaive :
Ils mèneront à bout leurs dessins éclatants.

Leur existence étrange est le réel du rêve !
Ils exécuteront votre plan idéal,
Comme un maître savant le croquis d’un élève.

Vos désirs inconnus, sous l’arceau triomphal,
Dont votre esprit en songe arrondissait la voûte,
Passent assis en croupe au dos de leur cheval.