Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’art, il se fit une grande révolution. Sans analyser ici le but qu’ils poursuivirent, sans en vérifier la légitimité, sans examiner s’ils ne l’ont pas outrepassé, constatons simplement qu’ils avaient un but, un grand but de réaction contre de trop vives et de trop aimables frivolités que je ne veux pas non plus apprécier ni caractériser ; — que ce but ils le visèrent avec persévérance, et qu’ils marchèrent à la lumière de leur soleil artificiel avec une franchise, une décision et un ensemble dignes de véritables hommes de parti. Quand l’âpre idée s’adoucit et se fit caressante sous le pinceau de Gros, elle était déjà perdue.

Je me rappelle fort distinctement le respect prodigieux qui environnait au temps de notre enfance toutes ces figures, fantastiques sans le vouloir, tous ces spectres académiques ; et moi-même je ne pouvais contempler sans une espèce de terreur religieuse tous ces grands flandrins hétéroclites, tous ces beaux hommes minces et solennels, toutes ces femmes bégueulement chastes, classiquement voluptueuses, les uns sauvant leur pudeur sous des sabres antiques, les autres derrière des draperies pédantesquement transparentes. Tout ce monde, véritablement hors nature, s’agitait, ou plutôt posait sous une lumière verdâtre, traduction bizarre du vrai soleil. Mais ces maîtres, trop célébrés jadis, trop méprisés aujourd’hui, eurent le grand mérite, si l’on ne veut pas trop se préoccuper de leurs procédés et de leurs systèmes bizarres, de ramener le caractère français vers le goût de l’héroïsme. Cette