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d’un aspect fort saisissant et fort étrange ; c’est d’une belle imagination.

Voici venir l’aimable Prud’hon, que quelques-uns osent déjà préférer à Corrége ; Prud’hon, cet étonnant mélange, Prud’hon, ce poëte et ce peintre, qui, devant les David, rêvait la couleur ! Ce dessin gras, invisible et sournois, qui serpente sous la couleur, est, surtout si l’on considère l’époque, un légitime sujet d’étonnement. — De longtemps, les artistes n’auront pas l’âme assez bien trempée pour attaquer les jouissances amères de David et de Girodet. Les délicieuses flatteries de Prud’hon seront donc une préparation. Nous avons surtout remarqué un petit tableau, Vénus et Adonis, qui fera sans doute réfléchir M. Diaz.

M. Ingres étale fièrement dans un salon spécial onze tableaux, c’est-à-dire sa vie entière, ou du moins des échantillons de chaque époque, — bref, toute la Genèse de son génie. M. Ingres refuse depuis longtemps d’exposer au Salon, et il a, selon nous, raison. Son admirable talent est toujours plus ou moins culbuté au milieu de ces cohues, où le public, étourdi et fatigué, subit la loi de celui qui crie le plus haut. Il faut que M. Delacroix ait un courage surhumain pour affronter annuellement tant d’éclaboussures. Quant à M. Ingres, doué d’une patience non moins grande, sinon d’une audace aussi généreuse, il attendait l’occasion sous sa tente. L’occasion est venue et il en a superbement usé. — La place nous manque, et peut-être la langue, pour louer dignement la Stratonice, qui eût étonné Poussin,