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Cette glorification de l’individu a nécessité la division infinie du territoire de l’art. La liberté absolue et divergente de chacun, la division des efforts et le fractionnement de la volonté humaine ont amené cette faiblesse, ce doute et cette pauvreté d’invention ; quelques excentriques, sublimes et souffrants, compensent mal ce désordre fourmillant de médiocrités. L’individualité, — cette petite propriété, — a mangé l’originalité collective ; et, comme il a été démontré dans un chapitre fameux d’un roman romantique, que le livre a tué le monument, on peut dire que pour le présent c’est le peintre qui a tué la peinture.


XVIII

DE L’HÉROÏSME DE LA VIE MODERNE

Beaucoup de gens attribueront la décadence de la peinture à la décadence des mœurs[1]. Ce préjugé d’atelier, qui a circulé dans le public, est une mauvaise excuse des artistes. Car ils étaient intéressés à représenter sans cesse le passé ; la tâche est plus facile, et la paresse y trouvait son compte,

  1. Il ne faut pas confondre cette décadence avec la précédente : l’une concernera le public et ses sentiments, et l’autre ne regarde que les ateliers.