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La sculpture a plusieurs inconvénients qui sont la conséquence nécessaire de ses moyens. Brutale et positive comme la nature, elle est en même temps vague et insaisissable, parce qu’elle montre trop de faces à la fois. C’est en vain que le sculpteur s’efforce de se mettre à un point de vue unique ; le spectateur, qui tourne autour de la figure, peut choisir cent points de vue différents, excepté le bon, et il arrive souvent, ce qui est humiliant pour l’artiste, qu’un hasard de lumière, un effet de lampe, découvrent une beauté qui n’est pas celle à laquelle il avait songé. Un tableau n’est que ce qu’il veut ; il n’y a pas moyen de le regarder autrement que dans son jour. La peinture n’a qu’un point de vue ; elle est exclusive et despotique : aussi l’expression du peintre est-elle bien plus forte.

C’est pourquoi il est aussi difficile de se connaître en sculpture que d’en faire de mauvaise. J’ai entendu dire au sculpteur Préault. « Je me connais en Michel-Ange, en Jean Goujon, en Germain Pilon ; mais en sculpture je ne m’y connais pas. » — Il est évident qu’il voulait parler de la sculpture des sculptiers, autrement dite des Caraïbes.

Sortie de l’époque sauvage, la sculpture, dans son plus magnifique développement, n’est autre chose qu’un art complémentaire. Il ne s’agit plus de tailler industrieusement des figures portatives, mais de s’associer humblement à la peinture et à l’architecture, et de servir leurs intentions. Les cathédrales montent vers le ciel, et comblent les mille profondeurs de leurs abîmes