Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hommes de lettres, qui ont chacun leur rêve et leur labeur, et pour qui le dimanche n’existe pas, échappent naturellement à la tragédie, il est un certain nombre de gens à qui l’on a persuadé que la Comédie-Française était le sanctuaire de l’art, et dont l’admirable bonne volonté est filoutée un jour sur sept. Est-il raisonnable de permettre à quelques citoyens de s’abrutir et de contracter des idées fausses ? Mais il paraît que la tragédie et le paysage historique sont plus forts que les Dieux.

Vous comprenez maintenant ce que c’est qu’un bon paysage tragique. C’est un arrangement de patrons d’arbres, de fontaines, de tombeaux et d’urnes cinéraires. Les chiens sont taillés sur un certain patron de chien historique ; un berger historique ne peut pas, sous peine de déshonneur, s’en permettre d’autres. Tout arbre immoral qui s’est permis de pousser tout seul et à sa manière est nécessairement abattu ; toute mare à crapauds ou à têtards est impitoyablement enterrée. Les paysagistes historiques, qui ont des remords par suite de quelques peccadilles naturelles, se figurent l’enfer sous l’aspect d’un vrai paysage, d’un ciel pur et d’une nature libre et riche : par exemple une savane ou une forêt vierge.

MM. Paul Flandrin, Desgoffes, Chevandier et Teytaud sont les hommes qui se sont imposé la gloire de lutter contre le goût d’une nation.

J’ignore quelle est l’origine du paysage historique. À coup sûr, ce n’est pas dans Poussin qu’il a pris nais-