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entendue, et où n’atteint pas le cœur de l’homme ! » C’est le comble de l’absurdité. Il me semble voir un danseur exécutant un pas de mathématiques !

Autrefois le public était bienveillant pour M. Ary Scheffer ; il retrouvait devant ces tableaux poétiques les plus chers souvenirs des grands poëtes, et cela lui suffisait. La vogue passagère de M. Ary Scheffer fut un hommage à la mémoire de Gœthe. Mais les artistes, même ceux qui n’ont qu’une originalité médiocre, ont montré depuis longtemps au public de la vraie peinture, exécutée avec une main sûre et d’après les règles les plus simples de l’art : aussi s’est-il dégoûté peu à peu de la peinture invisible, et il est aujourd’hui, à l’endroit de M. Ary Scheffer, cruel et ingrat, comme tous les publics. Ma foi ! il fait bien.

Du reste, cette peinture est si malheureuse, si triste, si indécise et si sale, que beaucoup de gens ont pris les tableaux de M. Ary Scheffer pour ceux de M. Henry Scheffer, un autre Girondin de l’art. Pour moi, ils me font l’effet. de tableaux de M. Delaroche, lavés par les grandes pluies.

Une méthode simple pour connaître la portée d’un artiste est d’examiner son public. E. Delacroix a pour lui les peintres et les poëtes ; M. Decamps, les peintres ; M. Horace Vernet, les garnisons, et M. Ary Scheffer, les femmes esthétiques qui se vengent de leurs fleurs blanches en faisant de la musique religieuse[1].




  1. Je recommande à ceux que mes pieuses colères ont dû parfois