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il relevait des anciens maître les plus hardiment colorés de l’Ecole flamande ; mais il avait plus de style qu’eux et il groupait ses figures avec plus d’harmonie ; tantôt la pompe et la trivialité de Rembrandt le préoccupaient vivement ; d’autres fois on retrouvait dans ses ciels un souvenir amoureux des ciels du Lorrain. Car M. Decamps était paysagiste aussi, et paysagiste du plus grand mérite : ses paysages et ses figures ne faisaient qu’un et se servaient réciproquement. Les uns n’avaient pas plus d’importance que les autres, et rien chez lui n’était accessoire ; tant chaque partie de la toile était travaillée avec curiosité, tant chaque détail était destiné à concourir à l’effet de l’ensemble ! — Rien n’était inutile, ni le rat qui traversait un bassin à la nage dans je ne sais quel tableau turc, plein de paresse et de fatalisme, ni les oiseaux de proie qui planaient dans le fond de ce chef-d’œuvre intitulé : le Supplice des crochets.

Le soleil et la lumière jouaient alors un grand rôle dans la peinture de M. Decamps. Nul n’étudiait avec autant de soin les effets de l’atmosphère. Les jeux les plus bizarres et les plus invraisemblables de l’ombre et de la lumière lui plaisaient avant tout. Dans un tableau de M. Decamps, le soleil brûlait véritablement les murs blancs et les sables crayeux ; tous les objets colorés avaient une transparence vive et animée. Les eaux étaient d’une profondeur inouïe ; les grandes ombres qui coupent les pans des maisons et dorment étirées sur le sol ou sur l’eau avaient une indolence et